12 septiembre 2019

STENDHAL
LA CHARTREUSE DE PARME



Pendant que le vieux guichetier s'écriait : « Mais mon devoir ne me permet pas... » Clélia montait rapidement les six marches ; elle se précipita contre la porte ; une clef énorme était dans la serrure ; elle eut besoin de toutes ses forces pour la faire tourner.  À ce moment, le vieux guichetier à demi ivre saisissait le bas de sa robe ; elle entra vivement dans la chambre, referma la porte en déchirant sa robe, et, comme le guichetier la poussait pour entrer après elle, elle la ferma avec un verrou qui se trouvait sous sa main.  Elle regarda dans la chambre et vit Fabrice assis devant une fort petite table où était son dîner. Elle se précipita sur la table,  la renversa,  et,  saisissant le bras de Fabrice,  lui dit :

— As-tu mangé ?

Ce tutoiement ravit Fabrice. Dans son trouble Clélia oubliait pour la première fois la retenue féminine, et laissait voir son amour.

Fabrice allait commencer ce fatal repas ; il la prit dans ses bras et la couvrit de baisers. Ce dîner était empoisonné, pensa-t-il : si je lui dis que je n'y ai pas touché, la religion reprend ses droits et Clélia s'enfuit. Si elle me regarde au contraire comme un mourant, j'obtiendrai d'elle qu'elle ne me quitte point. Elle désire trouver un moyen de rompre son exécrable mariage, le hasard nous le présente : les geôliers vont s'assembler, ils enfonceront la porte, et voici une esclandre telle que peut-être le marquis Crescenzi en sera effrayé, et le mariage rompu.

Pendant l'instant de silence occupé par ces réflexions, Fabrice sentit déjà que Clélia cherchait à se dégager de ses embrassements.

— Je ne sens point encore de douleurs, lui dit-il, mais bientôt elles me renverseront à tes pieds ; aide-moi à mourir.

— Ô mon unique ami ! lui dit-elle, je mourrai avec toi.

Elle le serrait dans ses bras, comme par un mouvement convulsif.

Elle était si belle, à demi vêtue et dans cet état d'extrême passion, que Fabrice ne put résister à un mouvement presque involontaire. Aucune résistance ne fut opposée.

Dans l'enthousiasme de passion et de générosité qui suit un bonheur extrême, il lui dit étourdiment :

— Il ne faut pas qu'un indigne mensonge vienne souiller les premiers instants de notre bonheur : sans ton courage je ne serais plus qu'un cadavre, ou je me débattrais contre d'atroces douleurs ; mais j'allais commencer à dîner lorsque tu es entrée, et je n'ai point touché à ces plats.

Fabrice s'étendait sur ces images atroces pour conjurer l'indignation qu'il lisait déjà dans les yeux de Clélia. Elle le regarda quelques instants, combattue par deux sentiments violents et opposés, puis elle se jeta dans ses bras. On entendit un grand bruit dans le corridor, on ouvrait et on fermait avec violence les trois portes de fer, on parlait en criant.

— Ah ! si j'avais des armes ! s'écria Fabrice ; on me les a fait rendre pour me permettre d'entrer. Sans doute ils viennent pour m'achever ! Adieu, ma Clélia, je bénis ma mort puisqu'elle a été l'occasion de mon bonheur.

Clélia l'embrassa et lui donna un petit poignard à manche d'ivoire, dont la lame n'était guère plus longue que celle d'un canif.

— Ne te laisse pas tuer, lui dit-elle, et défends-toi jusqu'au dernier moment ; si mon oncle l'abbé entend le bruit, il a du courage et de la vertu, il te sauvera ; je vais leur parler.

En disant ces mots elle se précipita vers la porte.

— Si tu n'es pas tué, dit-elle avec exaltation, en tenant le verrou de la porte, et tournant la tête de son côté, laisse-toi mourir de faim plutôt que de toucher à quoi que ce soit. Porte ce pain toujours sur toi.

Le bruit s'approchait, Fabrice la saisit à bras le corps, prit sa place auprès de la porte, et ouvrant cette porte avec fureur, il se précipita sur l'escalier de bois de six marches. Il avait à la main le petit poignard à manche d'ivoire, et fut sur le point d'en percer le gilet du général Fontana, aide de camp du prince, qui recula bien vite, en s'écriant tout effrayé :

— Mais je viens vous sauver, monsieur del Dongo.

Fabrice remonta les six marches, dit dans la chambre : — Fontana vient me sauver ; puis, revenant près du général sur les marches de bois, s'expliqua froidement avec lui. Il le pria fort longuement de lui pardonner un premier mouvement de colère.

— On voulait m'empoisonner ; ce dîner qui est là devant moi est empoisonné ; j'ai eu l'esprit de ne pas y toucher, mais je vous avouerai que ce procédé m'a choqué. En vous entendant monter, j'ai cru qu'on venait m'achever à coups de dague... Monsieur le général, je vous requiers d'ordonner que personne n'entre dans ma chambre : on ôterait le poison, et notre bon prince doit tout savoir.

Le général, fort pâle et tout interdit, transmit les ordres indiqués par Fabrice aux geôliers d'élite qui le suivaient : ces gens, tout penauds de voir le poison découvert, se hâtèrent de descendre ; ils prenaient les devants, en apparence, pour ne pas arrêter dans l'escalier si étroit l'aide de camp du prince, et en effet pour se sauver et disparaître. Au grand étonnement du général Fontana, Fabrice s'arrêta un gros quart d'heure au petit escalier de fer autour de la colonne du rez-de-chaussée ; il voulait donner le temps à Clélia de se cacher au premier étage.





Mientras el viejo carcelero exclamaba: “Pero el deber no me permite...” Clélia ascendía con rapidez los seis peldaños; se precipitó contra la puerta; una llave enorme estaba en la cerradura; necesitó de todas sus fuerzas para hacerla girar. En ese instante, el viejo carcelero medio borracho la asía del bajo del vestido; entró con presteza en la habitación, volvió a cerrar la puerta desgarrándose el vestido, y, como el carcelero la empujaba para entrar tras de ella, la cerró con un pasador que se hallaba bajo su mano. Miró en la habitación y vio a Fabrice sentado ante una mesa muy pequeña donde tenía su cena. Se precipitó sobre la mesa, la hizo caer, y, asiendo del brazo a Fabrice, le dijo:

—¿Has comido?

Ese tuteo encantó a Fabrice. En su turbación Clélia olvidaba por primera vez la compostura femenina, y dejaba ver su amor.

Fabrice se disponía a iniciar esa comida funesta; la tomó entre sus brazos y la cubrió de besos. Esa cena estaba envenenada, pensó: si le digo que no la he tocado, la religión retoma sus derechos y Clélia huye. Si por el contrario me ve como a un moribundo, obtendré de ella que de ningún modo me abandone. Desea encontrar un medio para anular su execrable boda, el azar nos lo presenta: los carceleros van a juntarse, forzarán la puerta, y he aquí un escándalo tal que tal vez el marqués Crescenzi se asustará, y la boda quedará anulada.

Durante el instante de silencio que ocuparon esas reflexiones, Fabrice sintió que ya Clélia buscaba librarse de sus abrazos.

—Aún no siento dolores —le dijo—, pero pronto me harán caer a tus pies; ayúdame a morir.

—¡Oh mi único amigo! —le dijo ella—, moriré contigo.

Ella le estrechaba entre sus brazos, como por un movimiento convulsivo.

Estaba tan hermosa, medio vestida y en ese estado de extrema pasión, que Fabrice no pudo resistir un movimiento casi involuntario. Ninguna resistencia se opuso.

En el entusiasmo de pasión y de generosidad que sigue a una felicidad extrema, él le dijo descuidadamente:

—No es necesario que una indigna mentira venga a manchar los primeros instantes de nuestra felicidad: sin tu coraje no sería más que un cadáver, o me debatiría ante atroces dolores; pero me disponía a cenar cuando has entrado, y no he tocado esos platos.

Fabrice se extendía sobre esas imágenes atroces para conjurar la indignación que leía ya en los ojos de Clélia. Ella le miró unos instantes, enfrentada a dos sentimientos violentos y opuestos, luego se arrojó en sus brazos. Se escuchó gran ruido en el pasillo, abrían y cerraban con violencia las tres puertas de hierro, hablaban a gritos.

—¡Ah! ¡Si tuviese armas! —exclamó Fabrice—; me obligaron a entregarlas para dejarme entrar. ¡Sin duda vienen a rematarme! Adiós, mi Clélia, bendigo la muerte puesto que ha sido la ocasión de mi felicidad.

Clélia le besó y le entregó un pequeño puñal de mango de marfil, cuya hoja apenas era más larga que la de una navaja.

—No te dejes matar —le dijo—, y defiéndete hasta el último instante; si mi tío el abad escucha el ruido, tiene coraje y virtud, él te salvará; voy a hablar con ellos.

Diciendo estas palabras se precipitó hacia la puerta.

—Si no caes muerto —dijo con exaltación, sosteniendo el pasador de la puerta, y volviendo la cabeza de su lado—, déjate morir de hambre antes que probar cualquier cosa. Lleva este pan siempre contigo.

El ruido se aproximaba. Fabrice la agarró de los brazos, ocupó su lugar junto a la puerta, y abriéndola con furor, se precipitó hacia la escalera de madera de seis peldaños. Llevaba en la mano el pequeño puñal de mango de marfil, y a punto estuvo de atravesar el chaleco del general Fontana, edecán del príncipe, que retrocedió deprisa, exclamando asustado:

—Pero vengo a salvaros, señor del Dongo.

Fabrice volvió subir los seis peldaños, dijo en la habitación: "Fontana viene a salvarme"; luego, regresando cerca del general hasta los peldaños de madera, se explicó calmadamente con él. Le suplicó largo rato que le perdonase un primer movimiento de cólera.

—Querían envenenarme; esa cena que está allí ante mí está envenenada; he tenido el ingenio de no tocarla, pero os confesaré que ese comportamiento me ha trastornado. Al oíros subir, he creído que venían a rematarme a golpes de daga… Señor general, os pido que deis orden de que nadie entre en mi habitación: harían desparecer el veneno, y nuestro buen príncipe debe saber todo.

El general, pálido y atónito, transmitió las órdenes de Fabrice a los carceleros de élite que le seguían: esas gentes, avergonzadas de ver descubierto el veneno, se apresuraron a descender; tomaban la delantera, en apariencia, para no detener en escalera tan estrecha al edecán del príncipe, y en realidad para escapar y desaparecer. Con gran asombro del general Fontana, Fabrice se detuvo un buen cuarto de hora en la pequeña escalera de hierro que circundaba la columna de la planta baja; quería dar tiempo a Clélia de ocultarse en el primer piso.


STENDHAL
La Chartreuse de Parme  (XXV)

Traducción de Alan

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